8 août 2018 – Chaque été, ma femme et moi prenons quatre à cinq semaines de vacances et rentrons chez nous en Grèce pour nous reposer, nous recharger, nous rééquilibrer et nous ressourcer, afin de pouvoir affronter les mois suivants. Pour ma femme, l’automne et l’hiver sont les périodes de travail les plus chargées. Pour moi, cet été est une période de « grande réflexion », car j’ai non seulement couvert (cette année) 18 conférences. De plus, ma femme et moi nous consacrons également à notre grande passion en participant à l’un des nombreux projets ARCHELON ayant pour but de sauver les tortues marines.
La Grèce est ce à quoi la Terre devrait ressembler, si on lui en donnait la chance. Elle n’est ni mystérieuse ni impénétrable, mais elle est fantastique et constituée de terre, d’air, de feu et d’eau. Oui, elle change de façon saisonnière avec des rythmes ondulants et harmonieux. Elle respire. Ici, vous pouvez vous rapprocher des étoiles et des cieux.
Ciel nocturne au-dessus de ma maison, photographié par un ami photographe, Panos Euripiotis
Vous vous réveillez et vous commencez votre journée sans même consulter le ciel… ni l’application météo sur votre téléphone 🙂 Vous savourez la sublimité du silence, la révélation de la lumière. Le calme. La solitude. Le ciel bleu… présentant au niveau de l’eau d’immenses piliers de pierre éperdus, marqués par le vent et la foudre. Une topographie n’appartenant à aucun temps ni lieu, qui vous permet d’échapper à la matière et au poids du monde moderne. Je crois que ce silence peut être fécondant, qu’il peut baigner l’imagination.
Et en effectuant cette évasion, je suis également les conseils que j’ai reçus il y a longtemps de mon premier gourou, Dominique Senequier (qui dirige maintenant Axa Private Equity en France), qui m’a dit que le secret du bonheur et du succès personnel était de s’engager dans tous les aspects de sa vie et de trouver le temps de se déconnecter de temps en temps. Sinon, « nous sommes comme des poissons qui ne savent pas qu’ils nagent dans l’eau et sont rarement conscients de l’atmosphère des temps qu’ils traversent ».
Oui, l’avancée époustouflante de la découverte scientifique et de la technologie fait fuir l’inconnu. Il n’y a pas si longtemps, la Création datait de 8000 ans et le paradis planait à quelques milliers de kilomètres au-dessus de nos têtes. Maintenant, la Terre a 4,5 milliards d’années et l’Univers observable s’étend sur 92 milliards d’années-lumière. Cependant, alors que nous fonçons tête baissée dans ce rythme frénétique, je pense que nous souffrons d’illusions de l’entendement, d’un faux sens de la compréhension, ce qui nous empêche de voir le gouffre qui se dessine entre ce que notre cerveau sait et ce à quoi notre esprit est capable d’accéder. Bien évidemment, cela pose un problème. La science a engendré une prolifération de la technologie qui a infiltré tous les aspects de la vie moderne de manière spectaculaire. À bien des égards, le monde est devenu si dynamique et si complexe que les capacités technologiques empêchent les capacités humaines d’interagir avec ces technologies de manière optimale et d’en tirer parti.
Cependant, il y a encore de l’espoir. Étant donné que, maintenant, la société est visiblement plus frénétique et plus agitée, les gens recherchent de plus en plus des moyens d’en faire moins. Comme en témoigne l’essor des cafés, l’expansion de l’industrie des loisirs et même l’ouverture de magasins sur mesure contenant uniquement des magazines imprimés sur papier, il est clair qu’il faut vraiment faire un effort … pour ne rien faire.
Mais je pense que nous devons également prendre du recul chaque année et entreprendre de « grandes réflexions ». C’est en partie parce que nous vivons à travers des morceaux : des fragments, des ostraca, des palimpsestes, parfois des codex délabrés avec des pages manquantes. Mais surtout, nous vivons d’un déluge de nouveaux clips de CNN, Facebook, LinkedIn, Twitter et [« nommez-votre-média-social-préféré »]. Nous avons créé un environnement qui récompense la simplicité et la brièveté et qui pénalise la complexité et la profondeur. Peut-être que nous ne connaîtrons jamais qu’une partie, comme « au travers d’un verre, obscurément », et que toute la connaissance nous parviendra par morceaux, mais nous devons nous accorder un temps de « grande réflexion ». Cet été, je compte passer du temps à étudier les deux thèmes ou sujets suivants. Certes, chacun mérite un été en lui-même, mais ils se chevauchent considérablement :
- Pourquoi Trump semble avoir triomphé du continuum espace-temps. Ceci a créé des problèmes énormes pour les salles de rédaction et a été largement débattu au Festival international du journalisme à Pérouse, en Italie. Mais tout cela a été exacerbé par les forces qui ont précédé Trump : l’essor de Facebook et de Twitter, l’instinct partisan des informations par câble et la « fatigue des nouvelles ». En observant les développements préjudiciables du récent discours public américain, on ne peut s’empêcher de constater l’état pathétique du système éducatif américain et le caractère terriblement inadéquat de son enseignement de l’histoire. Les écoles américaines produisent des adultes ayant tendance à confondre les faits empiriques et les opinions et ne possédant pas les connaissances médiatiques nécessaires pour examiner des informations contradictoires.
Pire encore, auparavant, les personnes qui réfléchissaient à ces sujets se plaignaient de l’essor des silos d’information, des bulles de filtre et des chambres d’écho : la nouvelle capacité des gens à choisir librement les types d’informations qu’ils consomment. Ces préoccupations demeurent, mais sont quelque peu dépassées. Pour moi, le principal danger menaçant la culture américaine, ce ne sont plus les vérités concurrentes – les « faits alternatifs » – mais lesmensonges concurrents. Tout était possible et rien n’était vrai. Les conspirations, émanant des cheminées géantes d’InfoWarset de la Maison Blanche elle-même, ont maintenant un sourire narquois et ennuagent l’air. Mais bon, il suffit d’observer l’histoire. Hannah Arendt nous a prévenus que le cynisme de masse pouvait frapper les cultures lorsqu’on laissait la propagande proliférer parmi elles ; ce cynisme existe… actuellement. Et il s’accompagne de quelque chose de tout aussi destructeur : un sentiment de désespoir généralisé. Les Américains vivent dans un monde de pollution de l’information – et le malheur, en ce qui concerne cette nouvelle réalité environnementale, c’est que personne n’a pu trouver une méthode sûre pour assainir l’air.
- Que se passe-t-il réellement au niveau de l’IA et de l’apprentissage automatique ? Depuis l’invasion de l’intelligence artificielle, il semble que nous soyons arrivés au stade où nous supposons que l’intelligence est en quelque sorte le point final téléologique de l’évolution – ce qui est incroyablement anthropocentrique et faux pour tous les aspects imaginables. L’intelligence est une réponse évolutive à un contexte particulier et à un ensemble de problèmes de survie. Je suis franchement très impressionné par le développement du vol, de la vitesse, de la natalité ou de la résistance aux rayonnements. Ce ne sont pas des fainéants, ceux-là. Je suis donc en train de revoir toutes les présentations de la conférence NIPS (Systèmes de traitement de l’information neuronale), le grand rassemblement annuel des experts en apprentissage automatique. Lors de l’événement de l’année dernière (la conférence se tenant tous les ans en septembre), Ali Rahimi, l’une des personnalités les plus reconnues dans ce domaine, a lancé une grenade intellectuelle dans le public. Au cours d’une conférence remarquable, il a comparé l’apprentissage automatique (le ML) à l’alchimie médiévale. Ces deux domaines ont donné des résultats dans une certaine mesure : les alchimistes ont découvert la métallurgie et la fabrication du verre, et les chercheurs en apprentissage automatique ont construit des machines capables de battre des champions de go humains et d’identifier des objets à partir d’images. Mais Rahimi a soutenu dans sa conférence que, tout comme l’alchimie, l’apprentissage automatique manquait de fondement scientifique. Les chercheurs, a-t-il affirmé, sont souvent incapables d’expliquer le fonctionnement interne de leurs modèles mathématiques : ils manquent de connaissance théorique rigoureuse en ce qui concerne leurs outils et, en ce sens, ils travaillent actuellement de manière alchimique et non scientifique.
Et détox numérique ? Hmmmmmm …………
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Détox numérique ?
Il est vrai que s’accrocher à son téléphone à clapet et refuser d’utiliser un smartphone est légèrement séditieux et peut-être un peu démodé. Refuser d’utiliser les deux types de téléphone est considéré comme de la pure folie, surtout si la personne qui refuse est née après le milieu des années 1970. Mais lorsque je me retire chez moi en Grèce chaque été pour m’accorder du temps personnel, je me passe de mon smartphone et je n’utilise qu’un téléphone ordinaire (un Nokia 3310) pour rester en contact avec ma famille. Pouvoir communiquer de manière omniprésente avec des personnes qui ne sont pas là physiquement ne m’intéresse pas. Les smartphones rendent leurs utilisateurs constamment prêts à recevoir un appel, constamment disponibles, ce qui apporte une certaine liberté ou commodité, mais peut également empêcher de se concentrer sur une tâche complexe. Cela se traduit par un sentiment d’obligation de rester connecté avec des personnes et des événements qui sont physiquement ailleurs.
Il est vrai que je « jette un coup d’œil sur certaines choses », mais à l’aide d’un ordinateur portable et selon un calendrier très strict établi par Celle-à-qui-l’on-doit-obéir (ma femme). Mais je pense qu’il est bon de ne pas utiliser son smartphone pendant les vacances, afin de maintenir son équilibre personnel. Auparavant, nous souffrions de Fomo (la peur de rater), mais aujourd’hui le mot à la mode est Jomo (la joie de rater), la sensation de libération que l’on éprouve en déconnectant et en déposant son téléphone.
Non, je ne laisse pas de messages d’absence du bureau (j’ai l’avantage suprême de disposer de 4 employés pour gérer les tâches), bien que j’aime le fait que certaines personnes se croient si importantes qu’elles éprouvent le besoin d’informer les gens qu’elles ne seront plus en ligne. Cet été, mon message d’absence du bureau préféré est celui d’un ami britannique :
Le Royaume-Uni est actuellement hors de l’Union européenne. Je n’aurai pas accès à la législation ni à la Commission pendant cette période. Pour toute question urgente, veuillez contacter Theresa au numéro dix ou Elizabeth au bureau de Buckingham. J’aurai un accès intermittent à la liberté de circulation et je devrai encore payer des impôts ; je serai donc là si vous avez besoin de moi, mais mes réponses seront différées. Il se pourrait que je vous contacte à mon retour, car celui-ci n’est pas encore totalement exclu.
Je suis sûr que vous passerez tous un excellent été… et peut-être que vous aurez le temps d’effectuer une ou deux « grandes réflexions ». Amusez-vous bien. Je vous laisse avec Mary Oliver, une poétesse américaine qui était ma voisine d’à côté lorsque je vivais à Provincetown au Massachusetts. Pour en savoir plus à son sujet, veuillez cliquer ici.
« Les personnes qui ont le plus de regrets sur Terre sont celles qui ont ressenti l’appel du travail créatif, qui ont senti leur pouvoir créatif rétif et surgissant, et qui ne lui ont donné ni pouvoir ni temps. »
Mary Oliver